Le 1er août approche et, avec la fête nationale, son cortège de symboles et d’images traditionnelles. Quel meilleur moment pour découvrir l’un des éléments culte de l’imaginaire helvétique, le cor des Alpes ? La simple sonorité de ce long instrument à vent, creusé à l’origine dans des sapins, évoque de paisibles vallées verdoyantes, seulement dérangées par le tintement de lourdes cloches de vaches... Mais qui est vraiment le cor des Alpes et quelle est son histoire ? Est-ce difficile d’apprendre à en jouer ? Partons à la rencontre de cet « animal » mythique.
Impossible, ou presque, de ne pas visualiser le cor des Alpes. Sa forme, une longue trompe, mesurant entre 3 et 4 mètres de long, au pavillon incurvé vers le haut, a peu changé depuis ses débuts. Bien qu’il soit traditionnellement fabriqué en bois de jeune sapin (d’épicéa, généralement), l’instrument appartient à la famille des cuivres (car il en possède la même technique de production du son, en pinçant les lèvres). On en trouve aussi, depuis quelques années, en carbone et télescopique, ce qui le rend léger et facile à transporter. La bête peut être pratiquée seul ou à plusieurs, pour former un trio ou quatuor (cors soprano, alto, ténor et basse). Mais lors de la fête fédérale des yodleurs, qui a lieu tous les trois ans, jusqu’à une vingtaine de musicien·ne·s peuvent se regrouper pour en jouer. Dans tous les cas, en raison de sa longueur et de sa technique, l’instrument se pratique debout.
Un outil de communication avant tout
Avant de s’imposer comme l’un des instruments de musique emblématiques de la Suisse, le cor des Alpes avait avant tout un but utilitaire et était lié aux activités alpestres pastorales. Outil de communication, il était alors l’instrument des vachers et servait à appeler les vaches pour les ramener des prés à l’étable, à l’heure de la traite. En effet, ses mélodies assez lentes pouvaient raisonner en écho dans les montagnes, et être entendues, selon les endroits et les conditions météorologiques, jusqu’à près de 15 kilomètres. Il avait parfois aussi une fonction religieuse, se substituant aux cloches d’églises, faisant office de prière du soir dans les cantons réformés, ou d’appel des fidèles à assister à la messe dans les cantons catholiques de Suisse centrale. On retrouve des instruments similaires au cor des Alpes en Autriche, en Allemagne, en France, en Pologne, en Ukraine et en Roumanie, remplissant probablement des fonctions analogues. Mais c’est en Suisse qu’il acquerra le statut de symbole.
Une histoire méconnue
L’histoire du cor des Alpes est longue et son origine difficile à établir. L’instrument a certainement été inspiré des cornes ou des trompes arrivées d’Asie centrale en Europe avec les troupeaux de bergers nomades. Parce qu’il s’est développé dans les montagnes, il est difficile de dater précisément son apparition. En Suisse, des gravures montrent un instrument similaire, mais plus court, entre les mains de bergers. La première mention du cor des Alpes en Suisse sous le terme lituum alpinum remonte à 1555, dans un texte du naturaliste Conrad Gesner qui en a fait une description détaillée. Le plus vieux document en allemand utilisant le terme « alphorn », cor des Alpes, date, lui, de 1527, et mentionne le paiement d’un joueur de l’instrument itinérant, originaire du Valais. On trouve aussi plusieurs gravures, vitraux, peintures sur verre le représentant au 16e siècle. Les premiers écrits décrivent des longueurs variables entre les régions (Oberland bernois, Haut Valais, Grisons et une partie de la Suisse romande), impliquant une différence de tonalité, de 2,5 mètres en Do à environ 4 mètres en Ré grave.
D’instrument du pauvre au statut de symbole
Le passage du cor des Alpes comme outil des vachers à instrument de musique en tant que tel a pu se produire pour deux raisons. En montagne, il perd progressivement sa fonction originelle en raison de l’exode rural des campagnes vers les villes. En effet, dès le 17e siècle, la production de fromage se délocalise des alpages aux laiteries en plaine, réduisant la nécessité pour les vachers de résider dans les alpages. Appauvris, certains d’entre eux s’exileront en ville pour jouer du cor des Alpes, associant son image à celle des mendiants. Prenant une connotation péjorative, l’instrument se fait de plus en plus rare et est presque réduit au silence.
Puis, au 19e siècle, le siècle du romantisme, le renouveau du folklore et le développement du tourisme permettront la renaissance du cor des Alpes, non plus comme instrument de vacher, mais comme instrument de musique. En 1798, lors de la première fête des bergers à Unspunnen près d’Interlaken, organisée notamment pour faire revivre la musique alpestre, la quasi-absence de musiciens bergers pousse l’Etat de Berne à sponsoriser le cor des Alpes à Grindelwald. Franz Nikolaus König fait fabriquer des cors des Alpes dans les années 1820 qu’il offre à des musiciens de talents pour qu’ils se forment au jeu de l’instrument.
Un nouveau répertoire
Dès lors, l’instrument acquiert un statut à part entière. La mode des symphonies pastorales pousse de grands compositeurs, Léopold Mozart (le père de Wolfgang), Félix Mendelssohn, Richard Wagner, pour n’en citer que quelques-uns, à écrire pour le cor des Alpes. On trouve ainsi une Sinfonia pastorella pour cor des Alpes et orchestre à cordes en sol majeur de Leopold Mozart et Parthia sur instruments paysans de Georg Druschetzky. En 1876, la symphonie de Brahms sera même entièrement transposée en Fa dièse pour respecter la tonalité de l’instrument. A l’aube du 20e siècle, Alfred Léonz Gassmann, compositeur suisse, produira son Opus n°106 qui contient 90 titres de mélodies.
Une belle revanche pour l’instrument, autrefois qualifié d’« outil du pâtre illettré » !
Un instrument simple… mais difficile
La tonalité de base de l’instrument dépend de sa longueur. Or, autrefois, les dimensions du cor des Alpes étaient données par la forme et la longueur naturelle de l’arbre, ce qui explique pourquoi il y avait de grandes différences entre les instruments. De nos jours, les facteurs de cors préfèrent une construction artificielle respectant les dimensions fixées en 1930 pour obtenir la tonalité voulue et permettre à différents instruments de jouer ensemble.
L’apprentissage du cor des Alpes est exigeant. La technique pour émettre un son est la même que pour le trompettiste, le tromboniste ou le corniste ; elle se base sur une vibration des lèvres. N’ayant pas la possibilité de raccourcir ou d’allonger le tube par l’intermédiaire de trous ou de pistons, le joueur ou la joueuse de cor des Alpes est obligée de se servir des sons harmoniques en jouant sur la position des lèvres. Plus rapide sera la vibration, plus haut sera le son.
Le cor des Alpes aujourd’hui
L’instrument a pris une belle revanche. Après avoir failli disparaître, il a réussi un tour de force en s’imposant comme attraction touristique et même comme instrument symbolique national. Il joue également sa star en apparaissant dans des publicités pour des produits ventant les verts pâturages et les belles montagnes helvétiques.
A écouter
La musicienne suisse Eliana Burki, décédée en 2023, est connue pour son jeu non traditionnel du cor des Alpes. Sa musique démontre qu’il est possible d’associer le mythique instrument suisse à des sonorités plus contemporaines et d’ailleurs.
Eliana Burki - Heart of Cairo (Official Music Video) - Bing video
Pour en savoir plus
Cor des Alpes — Wikipédia (wikipedia.org)
Cor des Alpes– sur les traces des sons naturels. | Suisse Tourisme (myswitzerland.com)
Histoire, technique et petit trait d'humour des joueurs de cors des Alpes (vallorcine.fr)
Festival international de cor des alpes de Nendaz (nendazcordesalpes.ch)